Un chef de chantier peut-il engager la responsabilité pénale de son entreprise ?

Un chef de chantier peut-il engager la responsabilité pénale de son entreprise ?

La question de la responsabilité pénale des entreprises est un enjeu majeur pour les dirigeants et employeurs. En matière civile, une entreprise est responsable des fautes commises par ses salariés dans le cadre de leur travail. Mais en matière pénale, la responsabilité de la personne morale ne s’engage pas automatiquement.

Un simple salarié, comme un chef de chantier, un compliance officer, un responsable sécurité ou un cadre intermédiaire, peut-il engager la responsabilité pénale de l’entreprise par ses actes ?

Répondre à cette question nécessite de comprendre la notion de « représentant » de la personne morale en droit pénal.


Quand une entreprise peut-elle être condamnée pénalement ?

Selon l’article 121-2 du Code pénal, la responsabilité d’une entreprise est conditionnée par trois critères :

✅ Une infraction a été commise.
✅ Elle a été commise par un organe ou un représentant de la personne morale.
✅ Elle a été commise pour le compte de l’entreprise.

C’est la seconde condition qui pose souvent question : qu’est-ce qu’un organe ou un représentant de l’entreprise ?


Qui peut être considéré comme un organe ou un représentant ?

Le Code pénal ne donne pas de définition précise des notions d’organe ou de représentant. La jurisprudence et la doctrine ont donc progressivement précisé ces notions.

✅ Un organe de la personne morale

Il s’agit des personnes qui administrent et gèrent la société :

  • Le gérant
  • Le président du conseil d’administration
  • Le directeur général
  • Les membres du directoire

Ces personnes participent aux décisions stratégiques et engagent l’entreprise à travers leurs actions.

✅ Un représentant de la personne morale

Un représentant est une personne qui agit au nom et pour le compte de la société. Il peut être investi de pouvoirs par :

  • Une délégation écrite de pouvoirs (ex. en matière de sécurité, conformité, gestion des chantiers).
  • Une délégation de fait (lorsqu’un salarié exerce un pouvoir décisionnel réel).

👉 C’est ici que la question des salariés se pose : peuvent-ils être considérés comme des représentants et, par conséquent, engager la responsabilité pénale de leur employeur ?


Un salarié peut-il être considéré comme représentant ?

En principe, un salarié n’engage pas la responsabilité pénale de son entreprise, sauf s’il remplit l’un des critères suivants :

🔹 Il dispose d’une délégation de pouvoirs formelle : il est expressément chargé de certaines missions par écrit (ex. sécurité, gestion des risques).
🔹 Il exerce un pouvoir décisionnel de fait : il agit comme un dirigeant sans en avoir officiellement le titre.

📌 Jurisprudence : des salariés considérés comme représentants

  • Un directeur général ayant signé des documents frauduleux au nom de l’entreprise (Crim. 1er juin 2023).
  • Un responsable conformité dans une banque turque, chargé de détecter les opérations suspectes (Crim. 13 octobre 2021).
  • Un coordonnateur sécurité ayant reçu les pouvoirs nécessaires pour assurer la conformité d’un chantier (Crim. 1er septembre 2020).
  • Une directrice de magasin, ayant une autonomie de gestion importante (Crim. 27 février 2018).

📌 Jurisprudence : des salariés NON considérés comme représentants
🚫 Un chef d’équipe, impliqué dans un accident du travail, mais sans délégation de pouvoirs (Crim. 29 juin 2021).
🚫 Un directeur d’exploitation, condamné sans preuve qu’il pouvait engager la société (Crim. 13 juin 2023).
🚫 Un employé chargé de superviser des travaux, sans délégation formelle (Crim. 13 octobre 2020).

👉 Conclusion : un simple statut de cadre ou de responsable ne suffit pas pour engager la responsabilité pénale d’une entreprise.


Le cas du chef de chantier : peut-il engager l’entreprise ?

Un chef de chantier exerce une autorité réelle sur les travaux, la sécurité et l’organisation du site. Peut-il être considéré comme représentant de l’entreprise en cas d’accident du travail ou d’infraction pénale ?

🔍 Les critères analysés par les juges :

  • Le chef de chantier dispose-t-il d’un pouvoir de décision autonome ?
  • A-t-il reçu une délégation de pouvoirs formelle ou implicite ?
  • Gère-t-il directement la sécurité et l’organisation du travail ?

📌 Exemple : un chef de chantier représentant
➡ Un coordonnateur sécurité, ayant reçu les pouvoirs nécessaires pour assurer la conformité du chantier, a été considéré comme représentant de son entreprise (Crim. 1er septembre 2020).

📌 Exemple : un chef de chantier NON représentant
➡ Un chef d’équipe, impliqué dans un accident, n’a pas été considéré comme représentant car il ne disposait pas d’une délégation de pouvoirs suffisante (Crim. 29 juin 2021).

👉 Moralité : un chef de chantier peut engager l’entreprise s’il dispose de réels pouvoirs de décision.


Délégation de pouvoirs : un enjeu clé pour les employeurs

Les dirigeants doivent être vigilants sur l’attribution des délégations de pouvoirs. En l’absence de cadrage clair, un salarié peut être considéré comme représentant de fait, ce qui expose l’entreprise à des poursuites pénales.

✅ Bonnes pratiques pour sécuriser l’organisation

✔️ Formaliser des délégations de pouvoirs écrites précises.
✔️ Définir clairement les responsabilités et les moyens alloués.
✔️ Former les délégataires pour éviter toute ambiguïté sur leur rôle.
✔️ Contrôler régulièrement l’effectivité des délégations, pour éviter qu’un salarié ne devienne « représentant de fait »sans l’avoir voulu.


Conclusion : anticiper pour éviter les risques

La responsabilité pénale d’une entreprise n’est pas systématique et dépend de l’existence d’un représentant ou d’un organe impliqué dans l’infraction.

👉 Un chef de chantier, un cadre intermédiaire, un responsable sécurité peuvent-ils être considérés comme des représentants ?
Tout dépend de leurs pouvoirs réels au sein de l’entreprise.

Pour un employeur, l’anticipation est la clé : clarifier les délégations de pouvoirs, encadrer les responsabilités et assurer un suivi rigoureux permet d’éviter des mises en cause pénales et de sécuriser l’entreprise contre les risques juridiques.

07/05/2025