Due diligence & abus de confiance : quand l’information change de nature

Due diligence & abus de confiance : quand l’information change de nature

Par Maître Tom Bonnifay — Vouland Avocats, Marseille

Cass. crim., 25 juin 2025, n° 24-80.903, F-B (rejet, CA Versailles, 18 janv. 2024)

L’information est un bien. Parfois, elle devient une preuve. Parfois, une culpabilité.
Le 25 juin 2025, la chambre criminelle rappelle que les données transmises lors d’une due diligence peuvent, en principe, faire l’objet d’un détournement punissable au sens de l’article 314-1 du Code pénal. Mais elle trace simultanément une limite nette : il n’y a pas d’abus de confiance lorsque ces informations servent à l’acquisition de la société cible, y compris si l’opération est finalement portée par une filiale sœur du groupe initialement intéressé.

Le scénario : un rapprochement contrarié, une reprise par filiale sœur

Dans l’audiovisuel, Holding A projette de céder Filiale A. Holding B entre en piste, signe un accord-cadre (entrée minoritaire, options croisées, droit de veto, clause anti-cession à un concurrent) et diligente une due diligence en vue du rachat total via Filiale B.
L’opération échoue. Filiale A tombe en liquidation. Filiale C — autre société de Holding B — se porte alors repreneur des actifs devant le tribunal de commerce. La cédante crie au détournement : les informations de l’audit auraient servi à une acquisition « par ricochet », à moindre prix.

La tentation pénale : l’abus de confiance comme garde-fou

Thèse de la plaignante :

  • les informations communiquées sous condition d’usage déterminé (l’audit) sont des biens immatériels appropriables ;
  • leur réemploi par une entité différente du destinataire initial caractériserait un détournement (art. 314-1 CP).

Réponse de la Cour : oui pour la nature du bien (les informations d’un audit peuvent être l’objet d’un abus de confiance) ; non pour le détournement dans l’espècela finalité n’a pas changé : il s’agit toujours d’une acquisition de la cible, quand bien même par une autre filiale du même groupe.

La finalité prime sur la forme : pas de rupture d’usage = pas de détournement.

Ligne de crête : quand l’intelligence économique flirte avec l’infraction

La décision est élégante — et utile. Elle admet l’immaterialité du bien détournable (l’information). Elle refuse, ici, l’artifice d’intention. L’opération par filiale sœur prolonge la logique d’acquisition ; elle ne la dévoye pas.

Mais l’alerte demeure pour les directions juridiques :

  • Clauseler précisément l’usage des informations d’audit (objet, périmètre, durée, sous-traitance, groupes et filiales visées).
  • Tracer qui accède à quoi, quand, comment.
  • Prévoir l’hypothèse d’une reprise par entité du même groupe : c’est souvent là que se joue la qualification.

Notre lecture pratique (dirigeants & DJ/Compliance)

  1. Yes, information is property : un data-room n’est pas un hall d’aéroport. L’accès s’encadre, se loggue, se retracte.
  2. L’usage finaliste est le juge de paix : la continuité d’acquisition sauve, le dévoiement d’opportunité expose.
  3. Contrats d’audit : NDA renforcés, clauses « same-group use » balisées, pénalités et voies de recours.
  4. Contentieux : en cas de doute, articuler l’intention de détournement (changement d’objet, de périmètre, ou usage concurrentiel non couvert par l’accord).

Encadré — Saisies pénales : la bonne qualification, pas l’amalgame

Le même jour, la chambre criminelle rappelle un autre principe de méthode : ne pas forcer la loi.

  • Art. 314-6 CP (« détournement d’objet saisi en garantie des droits d’un créancier ») saisies pénales en vue d’une confiscation.
  • Le comportement doit, le cas échéant, être poursuivi sur le terrain de l’art. 434-22 CP (« détournement d’objet placé sous scellés ou sous main de justice »).

Message simple : l’interprétation stricte prime. On punit, oui — mais avec le bon texte.

Conclusion — La beauté du cadre

La décision du 25 juin 2025 n’élargit pas indistinctement le pénal des affaires. Elle définit un cadre : l’information d’audit est un bien ; son usage est un engagement. La loyauté des affaires n’interdit pas l’intelligence économique — elle sanctionne le détournement.
Chez Vouland Avocats, nous défendons dirigeants et entreprises sur ces lignes de crête où le droit des sociétés rencontre la responsabilité pénale. Notre méthode : cadrer l’information, sécuriser la preuve, anticiper le jour J.


Référence

Cass. crim., 25 juin 2025, n° 24-80.903, F-B (rejet, CA Versailles, ch. instr., 18 janv. 2024)

10/12/2025