1987 – Le Casse de la Caisse d’Epargne : Évasion par les égouts
Il y a vingt ans, la guerre entre deux grands flics pétris de courage et d’orgueil a donné l’avantage à une équipe de braqueurs certifiés qui les ont ridiculisés. D’un côté, le commissaire Georges N’Guyen Van Loc, alors patron du groupe d’intervention de la police nationale (GIPN) de Marseille, respecté et craint par le milieu local, grande gueule qui finit par rejouer ses exploits à la télévision dans la série «le Chinois». De l’autre, le commissaire Robert Broussard, ancien chef de la brigade antigang à Paris qui a dénoué soixante prises d’otages et traqué «l’ennemi public numéro 1» Jacques Mesrine jusqu’à la fin, sous les balles, en 1979. Le Marseillais et le Parisien vont s’opposer, le 9 février 1987, autour du casse de la Caisse d’épargne de La Blancarde à Marseille.
Des bandits viennent d’entrer à 8 heures dans l’agence, de frapper un vigile et de se retrancher à l’intérieur avec 14 clients et 9 employés. Le premier sur les lieux, le commissaire Van Loc, qui prévient toujours les truands que «la mort fait partie des risques du métier», téléphone au chef du gang. Réponse : «Va te faire enculer.»
Le bouillant chef du GIPN réquisitionne 300 flics pour cerner la banque. L’ardeur des malfaiteurs à l’ouvrage intrigue l’inspecteur Gérard de Fabritus : «On entendait les burins, on entendait les disqueuses, on entendait les coups de marteau, les coups de masse. Comment, alors que 300 policiers sont là, en cercle, comment se fait-il que ces gens-là continuent à casser les coffres, ça paraissait hallucinant.» Même si cette agence cossue compte 2 000 coffres. Les preneurs d’otages exigent maintenant une rançon de 30 millions de francs (4,5 millions d’euros).
Comme à son habitude, Van Loc opte pour les grands moyens. Il demande les plans des égouts ainsi que deux hélicoptères et deux blindés. Selon le journaliste du Provençal José d’Arrigo, qui a assisté à des interventions du «Chinois» à Marseille et à Nice, cet «homme extrêmement courageux, téméraire parfois, a toujours dénoué des situations dramatiques en libérant les otages et quelques fois en tuant, quand il le fallait, le malfaiteur». Mais, face à l’envergure et à la durée de la prise d’otages, le préfet décide de faire appel à la toute nouvelle unité d’élite, le Raid d’Ange Mancini, commandé pour l’occasion par le fameux commissaire Broussard, devenu directeur central des polices urbaines.
D’entrée de jeu, la coopération entre services marseillais et parisien s’annonce délicate. Sitôt débarqué à Marignane, le patron du Raid apprend «les grincements de dents, et c’est un euphémisme, du « Chinois », qui n’admettait pas d’avoir été dessaisi». Le journaliste du Provençal en témoigne : «Van Loc conçoit comme une agression personnelle le fait qu’on appelle à la rescousse Robert Broussard. Comme s’il n’était pas capable, lui, N’Guyen Van Loc, de résoudre ce problème tout seul avec ses hommes. Il a senti une sorte d’humiliation personnelle.» Broussard tente de pacifier la situation, prend à part Van Loc : «Ecoute, sois raisonnable, je comprends, mais on va faire quelque chose ensemble, on va constituer des équipes mixtes.»«Sur le moment, il dit « bon d’accord », reprend le journaliste, ça l’avait un peu calmé. Mais il restait dans son coin, ne voulant absolument pas proposer ou suggérer quelque chose. Il boudait.» Selon José d’Arrigo, Van Loc «est un homme d’ordre qui ne supporte pas l’autorité». Le voilà «vexé» par cette «arrivée hautaine» des Parisiens.
Le Raid prend les choses en mains. Pour le commissaire Ange Mancini, «Van Loc n’avait pas de stratégie à ce moment-là. Il était dans un magasin de jouets. Il attendait qu’on amène de l’argent pour aller chercher les gens et puis les poursuivre en hélicoptère. C’est pas de la stratégie, ça. C’était de l’improvisation.» José d’Arrigo compare les bisbilles policières à un match de football : «C’est Marseille – Paris-Saint-Germain. C’est OM-PSG quoi, voyez. Sauf que là, c’est grave, parce qu’il y a quand même 23 otages.»
Broussard prend contact avec les malfaiteurs qui exigent les 30 millions dans l’heure. Dans l’après-midi, un indicateur balance aux gendarmes que «les gars peuvent fuir par les égouts». Broussard dépêche des policiers avec des égoutiers dans tous les boyaux qui passent aux abords de la Caisse d’épargne, pour s’assurer qu’aucune galerie n’est reliée aux sous-sols de la banque : «J’ai demandé que toutes les plaques d’égouts soient soulevées et vérifiées. Et, à chaque fois, il y avait rien, il y avait rien, il y avait rien.» Le flic croit alors à un tuyau percé.
La nuit tombe sur Marseille. Les négociations restent désespérément au point mort. Broussard n’a pas de prise sur ces gangsters et ne les sent «pas prêts» : «Autre chose commençait sérieusement à m’inquiéter, c’est qu’on entendait encore des coups.» Ange Mancini ne comprend pas plus ce qui se passe à l’intérieur : «Ils tapent depuis je ne sais pas combien de temps. Qu’est ce qu’ils font là-dedans ? Ça nous tracassait.» Les policiers et journalistes, tel José d’Arrigo, se préparent à passer la nuit : «On achète des sandwichs, de quoi s’installer pour la nuit pour assister, un peu comme au spectacle, à l’assaut final.»
A 19 heures, les bandits demandent aux otages de les aider à calfeutrer les fenêtres et à quelques costauds de fracturer les coffres : «Allez, mettez-y du coeur.» Les otages s’appliquent. Jusqu’au moment où les deux groupes réalisent que les casseurs ont déserté la banque. A 19 h 25, le chef d’agence sort, drapeau blanc à la main. «Stupéfaction, voyez. Un instant de stupéfaction intense, parmi les journalistes, le public, la police.» dit d’Arrigo. Atterré,Broussard s’aperçoit alors «de l’étendue de la catastrophe».
La catastrophe, c’est que les bandits ont pris la fuite depuis déjà vingt minutes avec trois sacs de sport remplis à ras bord de bijoux, lingots d’or et billets de banque piqués dans 276 coffres. Au nez et à la barbe des plus grands policiers de France. Ils ont d’abord suivi le tunnel de 32 mètres qu’ils avaient percé depuis deux mois entre la banque et les égouts, marché plusieurs centaines de mètres dans le boyau visité par la police, avant de rejoindre l’égout principal. Là, ils ont gonflé un bateau pneumatique pour porter le butin évalué à 10 millions de francs (1,5 million d’euros) et rejoindre enfin l’air libre, 3 kilomètres plus loin.
Dans un cagibi derrière la salle des coffres, les enquêteurs découvrent un trou qui donne sur un tunnel réalisé et étayé par un maçon. Avec un luxe de précautions, les taupes avaient installé une porte métallique pour boucher l’entrée de la galerie et l’avaient maculée de boue. L’inspecteur Fabritus se souvient «qu’ils l’avaient badigeonnée de terre, jusqu’à trois mètres de part et d’autre, si bien qu’on ne voyait plus du tout les interstices. Alors, lorsqu’on dit que la police a été mauvaise, c’est vrai qu’on n’a pas été brillants. Mais qui aurait pu imaginer qu’il existait sous cette tache de six mètres de large une porte d’accès à un tunnel ?» Autre tour de force des bandits, stratégique celui-ci : faire croire à la police qu’il s’agit d’un hold-up d’amateurs ayant mal tourné. C’est exprès qu’ils ont molesté le vigile pour se retrouver encerclés et pouvoir ainsi rassembler leur butin. Toute la journée, les cambrioleurs ont eu un coup d’avance.
Le lendemain, les journaux font les gros titres sur l’échec de la police et l’exploit du «gang des égoutiers» de Marseille. Même la presse américaine. Un des lecteurs, Albert Spaggiari, en cavale aux Etats-Unis après le casse du siècle qu’il a réalisé à Nice en 1976, fait paraître sa photo signée de sa main dans Paris Match pour réclamer des droits d’auteurs aux égoutiers de Marseille qui l’ont copié. Un pied de nez aux flics. Côté policiers, on règle ses comptes, paroles de Van Loc contre déclarations de Broussard.
Le pire est que la guerre va ressurgir sept ans plus tard, en 1994, lors du procès des douze malfrats aux assises d’Aix-en-Provence. Grâce aux tuyaux d’un indicateur, les deux cerveaux supposés du gang, Christian Checchi, un taiseux irascible, figure du milieu marseillais, et Stéphane Lanza, joueur de poker et exploitant de machines à sous clandestines, ont été rattrapés en Espagne, six mois après le casse, en possession de bijoux et pierres volés. Puis les dix autres qui recelaient soit des pièces d’or, soit des armes de poing, ont été coffrés. Les avocats prennent le parti d’admettre le recel, mais pas le casse. Leur stratégie : démonter l’instruction menée par un juge revanchard qui tient à laver l’affront fait à la police. Ainsi, Me Gilbert Collard pointe «l’incapacité à cicatriser une blessure narcissique tout au long de l’enquête, le retentissement des éclats de rire [.] aux oreilles des policiers et du juge. Ce sentiment d’avoir été ridiculisés va les pousser dans l’acharnement». L’avocat fait citer Van Loc à la barre, sûr de «provoquer un cirque» avec Broussard : «Plus j’arrivais à ridiculiser la police, plus mes clients s’en sortaient.» Collard sait que le «Chinois» viendra au procès «pour en découdre» avec Broussard.
En effet, le 7 février 1994, Van Loc traite le superflic de « rigolo » devant la cour d’assises, « rigolo à Marseille, rigolo à Paris ». «Ils sont partis par les égouts non surveillés. Moi, j’aurais mis à chaque bouche d’égout un policier et un calibre. Broussard, lui, n’avait rien compris. Il allait donner l’assaut. Il a failli y avoir un massacre. Et là, marque de Dieu, Broussard affolé a perdu son calibre en courant, devant mes hommes», témoigne le «Chinois» qui tire sa morale de l’histoire : «Aux Marseillais les affaires marseillaises.» Devenu préfet, Broussard «revendique pleinement cet échec» à la barre, mais renvoie la balle : «Aucun responsable n’a été écarté dans cette affaire. Aucun responsable n’a proposé une autre stratégie ni d’autres solutions.» Cette querelle des chefs, ajoutée à l’absence de l’indic au procès ainsi qu’à des erreurs du juge, provoque un effet désastreux sur les jurés. Ce sont finalement les douze accusés qui remportent le match Van Loc-Broussard : tous acquittés du casse de la Caisse d’épargne et de la prise d’otages par la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Philippe Vouland défendait l’un des principaux accusés. Il partageait la barre avec Michel Pezet, Gilbert Collard ou encore Jacques Mazella Di Bosco.
Ce résumé est tiré d’un article de Libération consultable ici : https://www.liberation.fr/grand-angle/2007/12/07/casse-d-epargne_108083/