Fusion-absorption et responsabilité pénale : la punition par assimilation
Par Maître Tom Bonnifay – Vouland Avocats, Marseille
Le 29 avril 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt aussi fascinant qu’inquiétant pour le juriste attaché à la clarté des frontières.
Elle y affirme, pour la première fois, qu’en cas de fusion-absorption, la société absorbante peut interjeter appel d’un jugement de condamnation prononcé contre la société absorbée.
Un pas de plus dans le grand glissement du droit pénal des affaires vers un droit de la continuité absolue, où les entités se fondent, mais où les fautes demeurent.
La genèse d’une dérive annoncée
Tout part de l’arrêt du 25 novembre 2020, où la Cour avait ouvert la brèche :
le transfert de responsabilité pénale en cas de fusion-absorption.
Le patrimoine se transmettait déjà ; désormais, la culpabilité suivait le même chemin.
Cinq ans plus tard, l’arrêt du 29 avril 2025 en accentue la portée.
L’affaire est simple : deux sociétés condamnées pour blessures involontaires et infractions au droit du travail fusionnent entre elles une semaine après le jugement.
L’appel est interjeté le lendemain.
La cour d’appel de Rennes le déclare irrecevable pour la société absorbée, au motif qu’elle n’existe plus juridiquement.
Mais la société absorbante, à la fois héritière du patrimoine et dépositaire de la sanction, revendique le droit d’appeler pour elle et pour l’autre.
La Cour de cassation ouvre la porte
Au visa de l’article 509 du code de procédure pénale, la Cour de cassation censure.
Puisque la société absorbante « vient aux droits » de l’absorbée, elle acquiert aussi la faculté d’exercer ses recours.
L’appel formé par l’absorbante vaut donc appel pour l’absorbée.
Ainsi se crée une fusion des droits procéduraux : ce qui appartenait à l’une s’étend à l’autre, ce que l’une n’aurait plus pu faire, l’autre peut le faire à sa place.
Une fiction ? Non : une mécanique parfaitement assumée.
Mais une mécanique dangereuse, car elle autorise ce que le texte ne prévoit pas : une transmission universelle de la culpabilité et de la peine.
Une architecture à la fois subtile et vertigineuse
Le dispositif de la Cour est aussi audacieux que fragile.
La juridiction de renvoi devra désormais juger l’appel de la société absorbante, non seulement sur les faits qui la concernent, mais aussi sur ceux commis par la société absorbée.
Deux infractions, une seule peine.
Les juges devront donc articuler une culpabilité partagée, une peine unique, motivée à la lumière des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, en tenant compte de la situation respective de chacune des sociétés « au moment des faits et postérieurement ».
Un exercice périlleux : la Cour valide la coexistence d’un principe de personnalité des peines et d’une solidarité post-fusionnelle des fautes.
Un équilibre instable, presque alchimique, entre le droit et l’économie.
De la punition par cession à la punition par assimilation
On pouvait imaginer un modèle plus simple : celui d’une punition par cession, où la société absorbante exécute la peine infligée à l’absorbée, sans revivre le procès, sans réévaluer la culpabilité.
Mais la chambre criminelle choisit une autre voie : la punition par assimilation.
L’absorbante devient l’absorbée ; elle en porte la mémoire, les fautes, la sanction.
Le droit pénal entre dans une logique de fusion intégrale, où l’on ne distingue plus le sujet de droit du sujet responsable.
Une inquiétante beauté du raisonnement
Il y a, dans cette construction, une élégance doctrinale — presque une symétrie parfaite.
Mais elle inquiète.
Car elle repousse toujours plus loin la personnalité de la responsabilité pénale, jusqu’à rendre flou le visage même de celui que l’on juge.
Demain, une société absorbante pourra être condamnée pour une infraction qu’elle n’a ni voulue ni connue, simplement parce qu’elle en a hérité, comme on hérite d’un actif, d’un passif — et désormais d’une faute.
Notre lecture
Chez Vouland Avocats, nous défendons les dirigeants et les entreprises confrontés à ces nouvelles zones de risque.
Cette jurisprudence l’illustre : le droit pénal de l’entreprise devient un droit du continuum, où la frontière entre le fait et son auteur se déplace.
Notre rôle est d’y opposer la technique, la mesure, et la stratégie.
De préserver, dans le flux des restructurations, ce qui demeure le socle du procès pénal : le principe de personnalité et la loyauté de la répression.
Référence
Cass. crim., 29 avril 2025, n° 24-81.555, FS-B (cassation partielle, CA Rennes, 15 février 2024)