L’avocat pénaliste a-t-il le droit de mentir ?
Le commentaire de Tom Bonnifay paru dans la revue Lexbase Avocats du mois d’octobre 2024 examine les implications juridiques soulevées par la publication d’un article de presse sur le rôle d’un avocat dans l’affaire « Grivaux ».
En l’accusant d’avoir menti sur sa désignation en tant qu’avocat de l’activiste Piotr Pavlenski, l’article soulève des questions sur la notion d’atteinte à l’honneur ou à la considération, coeur du délit de diffamation. Si les faits d’espèce expliquent la solution dégagée par la Cour de cassation, l’auteur s’interroge sur la possibilité d’ériger cette solution en principe général.
Cette décision implique qu’il est interdit à l’avocat de mentir sur sa désignation. En mentant sur l’existence d’un mandat, l’avocat usurpe une qualité qui appartient à un de ses confrères, ce qui porte atteinte aux principes de confraternité et de dignité. Lui imputer une telle attitude porte donc atteinte à son honneur ou à sa considération.
On peut s’interroger sur la portée de cette décision : se limite-t-elle au mensonge relatif à une désignation en garde à vue ou s’étend-elle à tout mensonge d’un avocat ? Autrement dit, dire d’un avocat qu’il ne dit pas la vérité constitue-t-il toujours une atteinte à son honneur ? Par exemple, un avocat pourrait-il se plaindre de diffamation si on l’accusait de mentir à la presse en omettant des éléments compromettants ? Que dire d’un avocat accusé d’avoir obtenu l’acquittement de son client en conseillant de travestir la réalité ?
Ces interrogations pourraient alimenter un débat judiciaire fascinant. Pour se défendre de la diffamation, le prévenu serait amené à laver l’honneur de sa victime.
« Il ne peut y avoir de diffamation. Mon client n’a pas sali l’honneur de mon confrère, il l’a rétabli dans sa grandeur de pénaliste. »
On imagine des bribes de cette plaidoirie.
D’abord, des accents historiques : « Il fut un temps où nous jurions sur les Évangiles. En 1344, le Parlement de Paris nous faisait promettre de ne jamais se livrer à de fausses affirmations. Huit siècles plus tard, dans un pays laïc, on attend toujours de nous que nous soyons des apôtres de la vérité. Mais souvenez-vous des Romains. Cicéron d’abord. Il disait que le juge doit suivre la vérité. L’avocat, lui, doit parfois défendre ce qui semble vraisemblable, même si cela s’éloigne de la vérité. Puis, il y a Quintilien. Il insistait sur le fait que l’avocat ne doit pas plaider de mauvaises causes, mais il admettait aussi qu’il peut
dissimuler la vérité dans certains cas. Maurice Garçon, un grand nom du barreau, aurait approuvé. Il a défendu René Hardy, un résistant accusé d’avoir dénoncé Jean Moulin en juin 1943. Il a obtenu son acquittement. Après le procès, il a appris que son client avait menti. Hardy avait omis de mentionner qu’il avait été arrêté puis relâché par la Gestapo, quelques jours avant l’arrestation de Moulin. Garçon, qui exigeait d’être intransigeant sur le chapitre de la vérité reconnut que son client avait bien fait de mentir ».
Puis viennent les réflexions : « Un kantien dirait que la vérité n’a pas de prix. La véracité est un devoir, qu’on soit avocat ou pas. Un avocat américain serait d’accord. Pour lui, mentir est une faute grave. C’est un outrage au tribunal. Tout avocat a le droit de voir le dossier de son adversaire pour s’assurer qu’aucune pièce ne lui a été cachée. Cela s’appelle la « discovery ». Être avocat en France, c’est autre chose. D’une certaine manière, c’est plus grand. Nous sommes les héritiers de Benjamin Constant. Nous devenons arbitres d’un match entre le droit et la vérité. Le respect du secret professionnel nous impose de ne rien dire des confidences d’un client, même si elles font obstacle à la découverte de la vérité. Il arrive que le mensonge soit juste, ou que la défense prime sur la vérité apparente. Nous ne cherchons pas toujours la vérité, mais l’authenticité et la vraisemblance. »
Et les exemples récents : « Il y a quelques mois, le tribunal correctionnel de Paris, sous la présidence d’Isabelle Prevost- Desprez, a rendu une décision de 124 pages. Deux confrères pénalistes ont été relaxés de la complicité de tentative d’escroquerie au jugement. Le tribunal a confirmé qu’un avocat n’a pas à authentifier les documents. Aucune obligation de certification des pièces versées ne pèse sur un avocat, tant qu’il ne présente pas sciemment un document falsifié. Le tribunal a adopté la pensée de Vincent Nioré. L’avocat doit être loyal avec le juge, il ne doit pas verser des pièces qu’il sait fausses. En revanche, ce n’est pas l’imprudence qui est sanctionnée, mais la conscience claire. L’avocat n’est ni un mercenaire ni un certificateur. Là se trouve toute la difficulté de sa tâche. »
La plaidoirie se conclurait avec un zeste de grandiloquence : « Il ne peut y avoir de diffamation. Mon client n’a pas sali l’honneur de mon confrère, il l’a rétabli dans sa grandeur de pénaliste. »
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