Blanchiment : la présomption n’existe qu’après la preuve de la dissimulation

Blanchiment : la présomption n’existe qu’après la preuve de la dissimulation

Par Maître Tom Bonnifay — Vouland Avocats, Marseille

Cass. crim., 25 juin 2025, n° 24-85.882, F–D (cassation, CA Rennes, 5 sept. 2024)

La présomption de blanchiment n’est pas un raccourci : c’est une conséquence.
L’article 324-1-1 du Code pénal ne joue qu’après la caractérisation préalable d’une opération de placement, de dissimulation ou de conversion. Sans cette marche d’escalier, la présomption reste au palier.

L’affaire : des liasses, un contrôle, une confusion

À l’entrée d’une salle d’audience, une femme est contrôlée.
Dans son sac : 6 800 €.
Dans une poche de manteau : 3 300 €.
Billets cellophanés, tickets manuscrits, explications hésitantes des intéressés.
En appel, les juges y voient la preuve d’une dissimulation, actionnant la présomption : l’argent serait le produit indirect d’un délit.

La Cour de cassation casse. Deux rappels simples, presque pédagogiques :

  1. La présomption n’opère que si une opération visée par la loi est d’abord établie.
  2. Transporter deux liasses emballées, même séparément, ne suffit pas à caractériser une « dissimulation » au sens de l’article 324-1-1.

Le droit : présumer… après avoir prouvé

L’architecture probatoire de l’article 324-1-1 est exigeante :

  1. Étape 1 — Opération caractérisée.
    Les poursuites doivent identifier une opération (placement, dissimulation, conversion) concrète et qualifiée.
  2. Étape 2 — Présomption activée.
    Si – et seulement si – les conditions matérielles, juridiques ou financières de cette opération n’ont pas d’autre justification que dissimuler l’origine ou le bénéficiaire effectif, alors la présomption peut jouer.
  3. Étape 3 — Débat contradictoire.
    Le prévenu peut renverser la présomption par une explication crédible sur l’opération litigieuse.

Ici, l’étape 1 manque. Pas d’opération, pas de présomption.
La Cour refuse de confondre port de liquide et dissimulation pénale.

Ce que la décision clarifie (utile aux directions juridiques & compliance)

  • Le contenant ne fait pas l’infraction. Cellophane, double cache, tickets : ce sont des indices, pas une opération.
  • La dissimulation exige un geste qualifié. Les jurisprudences retenues par le passé décrivent des cachettes sophistiquées (compartiments de véhicules, sachets thermosoudés, etc.).
  • La présomption n’allège pas la charge de la preuve initiale. Elle la suit, elle ne s’y substitue pas.

La Cour confirme un courant de rigueur : déjà, le 2 avril 2025, elle validait une relaxe lorsque l’« opération » alléguée (conversion via jeux) n’était pas suffisamment caractérisée — inutile, alors, d’exiger du prévenu la preuve de l’origine licite.

Pour les entreprises et dirigeants : comment prévenir les malentendus

1) Gouvernance du cash (risque opérationnel).

  • Protocoles écrits sur la manipulation de liquidités (caisses, avances, cautions).
  • Traçabilité systématique (bordereaux, motifs, chaines d’autorisation).

2) Cartographie « opérations à risque 324-1-1 ».

  • Situations internes où une opération pourrait être assimilée à de la dissimulation (transports, conversions, placements atypiques).
  • Désigner un “référent opération” pour valider l’objectif économique ex ante.

3) Jour J – contrôle ou perquisition.

  • Narratif factuel unique, documents de support immédiats (contrats, retraits, ventes).
  • Assistance avocat pénal pour qualifier ou exclure l’« opération » au sens de la loi avant que la présomption ne soit invoquée.

4) Formation ciblée.

  • DAF, trésorerie, retail, logistique : ateliers 90 minutes « Opération vs. Présomption ».

Notre position — La beauté du cadre

La présomption de blanchiment est un outil puissant.
Mal employée, elle devient un raccourci.
La chambre criminelle rappelle l’essentiel : le pénal est un art du cadrage.
Chez Vouland Avocats, nous défendons entreprises et dirigeants sur cette ligne : prouver l’opération avant de présumer l’infraction.


Référence

Cass. crim., 25 juin 2025, n° 24-85.882, F–D (cassation, CA Rennes, 5 sept. 2024)

30/10/2025