Article de Tom BONNIFAY sur le secret professionnel dans le Journal du Barreau de Marseille

Article de Tom BONNIFAY sur le secret professionnel dans le Journal du Barreau de Marseille

Article paru en novembre 2023 I Ecrit par Tom BONNIFAY

En essuyant ses pieds sur le paillasson, le client peut lire la nouvelle devise du
cabinet : « No place to hide »1. Modestement anglophone, il ne devine pas encore
qu’en poussant la porte, il va pénétrer dans l’univers dystopique de techno-vigilants
à tendances paranoïaques qu’on ne trouve que dans les romans de John le Carré.
Invité à s’asseoir en attendant son avocat, le client découvre, posée entre un Marie-
Claire corné de la dernière décennie et un numéro des Nouvelles Publications,
une affichette rose bonbon2 : « Merci de déposer vos appareils électroniques dans
la boite située à l’accueil du cabinet avant votre rendez-vous ».

Habitué à l’écriteau ripoliné l’invitant
poliment à régler ses honoraires par
chèque, espèces3 ou carte bancaire, il
est surpris par cette nouvelle recommandation.
Son regard se porte alors sur une drôle
de boite, fièrement posée sur la banque
d’accueil. Rectangulaire, toute en fibre
de carbone, il est en train de contempler
ce que l’agent d’accueil appelle une
cage de faraday4. Il doit y déposer tous
ses appareils électroniques le temps
du rendez-vous : téléphone, ordinateur,
montre connectée et, pour les plus audacieux
lui dit l’agent, Svakom Siime Eye.
Perplexe face à tant de prévenance, le
client ne remarque pas tout de suite que
la sonnerie d’un téléphone est en train de
retentir. Ça n’est pourtant pas l’habituelle
Marimba qui résonne entre les murs désespérément
vides de ce drôle de cabinet,
mais un son plus rugueux, craché
par les entrailles d’un vieux téléphone rotatif


en métal avec combiné en bakélite,
siglé Cofratel. « Le seul qui échappe aux
IMSI Catchers » lui dira plus tard son
avocat avec un air convenu, comme si le
client y comprenait quelque chose…
Alors qu’il élabore une excuse pour quitter
ce repère de joyeux doux dingues,
l’avocat apparait enfin. Le rendez-vous
peut débuter.
La chaleur humide qui règne dans le
bureau brouille immédiatement les sens
du client. Il ne peut toutefois pas occulter
le marcel blanc en nid d’abeille tâché
de transpiration que porte l’avocat sur
un élégant pantalon en lin olive et une
audacieuse paire de Geox à scratchs
aérées sur le dessus. Surpris par le style
peu conventionnel de l’avocat, le client
l’est tout autant par la décoration du bureau.
Le mur qui lui fait face est entaillé
d’une profonde cicatrice de deux mètres
de long. A ses pieds, un immense amas
de dossiers papiers à même le sol et de
feuilles qui volent au gré des courants
d’air. Ailleurs, aucun signe d’un téléphone
ou d’un ordinateur.
L’avocat, qui anticipe les interrogations
de son invité, s’explique. Il a lu il y a
quelques semaines que les climatiseurs
modernes pouvaient être connectés à
la domotique. Bien qu’il ne sache pas
exactement ce que cela impliquait dans
son cas, il a décidé d’agir immédiatement
pour se protéger des surveillances
policières ! Epaulé par deux stagiaires,
il a démonté manuellement des climatiseurs
et arraché les raccordements en
passant directement par le mur. Quant
aux ordinateurs, ils ont été dépecés et
ses composantes ont été jetés à sept
endroits différents de la ville.
Face à l’anxiété perceptible de son client,
en proie à une violente crise de sudation,
l’avocat se veut rassurant. Dans son cabinet,
rien de sérieux ne sera évoqué en
présence d’un appareil électronique !

09/11/2023